Face aux problèmes simples du quotidien, les groupes sont habitués à prendre des décisions rapidement. Cependant, confronté à un problème complexe, un groupe peut avoir du mal à : imaginer des options nouvelles ; émettre des opinions impopulaires ; formuler des idées à moitié développées ; intégrer la diversité des opinions. Certains vont se répéter. Certains ont l’impression de ne rien comprendre au point de vue des autres. D’autres enfin vont penser que le groupe est hors sujet, qu’il ne respecte plus les règles de base, que tout le monde perd son temps. Alors, pour sortir de cette situation, le responsable prend, seul, la décision qui lui semble la plus ajustée. Les participants se demandent alors pourquoi on les a fait venir si la décision était déjà prise. De plus, ils ne se sentent pas engagés à soutenir cette décision.

Prise de décision habituelle

Nous sommes dans un grand magasin de centre-ville où, le matin, les vendeurs arrivent en retard. Le propriétaire a tout essayé : incitation aimable, rappel à l'ordre menace… En désespoir de cause, il organise une réunion avec les protagonistes. L’ambiance est bonne. Chacun arrive pensant connaître l’origine du problème et la solution à mettre en œuvre.

Pour les chefs de rayon, le problème a pour origine le trop grand nombre d’étudiants chez les vendeurs. Les étudiants sont de passage et donc peu concernés par les objectifs de l’entreprise. La solution est donc de recruter plus de personnel à temps plein, personnel qui sera impliqué, discipliné et motivé.

Pour les vendeurs, c’est le calcul de la part variable du salaire qui est à l’origine du problème. Comme il y a peu de clients le matin, la première heure est une heure perdue. Ils demandent donc une prime pour tous ceux venant le matin.

Chacun défend son point de vue. Le propriétaire écoute. Mais, au bout d’un moment, il constate que chaque groupe campe sur ses positions. « OK, voici ma décision. Durant 2 mois, je donne une prime à tous ceux du matin. Si cela marche, la prime sera conservée. Si cela ne marche pas, on embauchera plus de personnel à temps plein ».

Les vendeurs sont satisfaits. Ils ont été écoutés et auront plus d’argent. Les chefs de rayon, eux, sont remontés. Ils considèrent qu’on ne les a pas pris au sérieux et que leur autorité a été remise en cause.

Durant les semaines qui suivent, les relations se tendent. Les chefs de rayon modifient arbitrairement les plannings ou répondent moins favorablement aux demandes des étudiants (par exemple, travailler l’après-midi plutôt que le matin). Les étudiants réagissent en conséquence (longues pauses, appels sur les portables, départs anticipés sans prévenir). Le personnel travaillant à temps plein se plaint.

2 mois plus tard, les relations se sont dégradées. Le propriétaire demande alors aux chefs de rayon d’engager plus de personnel à temps plein. Les chefs de rayon sont satisfaits et pensent qu’ils vont enfin améliorer la situation. Mais les vendeurs, regrettant la prime perdue, considèrent que l’encadrement a saboté leur proposition initiale. Ils avertissent les nouveaux venus de ne pas faire confiance à l’encadrement. Ces tensions vont s’installer durablement.


Passer par les phases de divergence, grognement et convergence

Pour les problèmes complexes nécessitant l’implication de tous lors de la mise en œuvre de la solution, il est souhaitable de passer par les zones de divergence, de ronchonnement et de convergence.

En voici un exemple.

Nous sommes dans une région boisée de séquoias, les arbres géants sous lesquels on peut passer en voiture. Jusqu’à 1975, il existait une taxe sur les forêts privées, taxe calculée sur le nombre d’arbres. Plus vous possédiez d’arbres, plus vous deviez payer. Les scieries avaient donc tendance à abattre des arbres pour ne garder qu’un stock minimum.

Cela posait problème aux scieries quand la demande était faible, mais cela posait aussi problème aux collectivités (perte de recettes fiscales) et aux écologistes et habitants locaux qui souhaitaient que les arbres de plus de 40 ans soient conservés.

Exaspérés par les tensions que cela créait au sein de la communauté, les élus locaux ont exigé qu’une solution définitive soit trouvée. Cependant, pour être approuvée, la solution devait passer devant une dizaine de commissions, commissions pouvant facilement retarder leur décision en cas de désaccord. Il était donc impératif que tout le monde soutienne une seule et unique solution.

Au cours des premières réunions, chacun était polarisé sur ses besoins. Les écologistes sur la nécessité de préserver l’écosystème. Les scieries sur l’importance de leur activité pour l’économie locale.

Puis, au fil des réunions, les parties en présence ont moins cherché à défendre leurs positions et se sont montrées plus attentives aux arguments des autres. Les échanges sont devenus plus riches en termes de contenu.

Finalement, après plusieurs mois de travail, le groupe a élaboré un nouveau calcul de taxe basé sur le nombre d’arbres abattus.

Ce calcul permet aux scieries de ne plus couper les arbres quand la demande est faible. Il garantit à la collectivité des rentrées d’argent au prorata des gains des scieries. Enfin, il encourage le maintien d’arbres âgés.

Cette proposition étant soutenue par tous les protagonistes, elle fut rapidement adoptée par les dix commissions.