Quand deux personnes devant travailler ensemble sont en conflit ouvert, l’entourage cherche à éviter tout débordement en contrôlant la situation. Par exemple, si les deux personnes doivent prendre, ensemble, une décision commune, l’entourage préparera avec soin la réunion de travail. Cependant, en faisant cela, l’entourage maintient le conflit car les deux personnes restent encombrées de tout ce qu’elles voudraient dire mais ne peuvent pas dire. Ce qui les empêche de se rendre attentives aux besoins de l’autre. Pour sortir de cette situation, les protagonistes ont besoin de dire ce qu’ils ont à dire, comme ils veulent le dire. Une fois cela fait, ils pourront enfin se rendre attentifs aux besoins de l’autre. Ce qui amènera un changement dans la qualité de leur relation.

Dans l’exemple qui va suivre, les interventions du médiateur ont été, pour la plupart, supprimées. Cependant, il a un rôle actif à jouer : maintenir les deux participants responsables des échanges et des prises de décision .

Attention : le dialogue qui va suivre est long. Cette longueur est nécessaire pour voir s’opérer les changements dans la qualité de la relation.

Couleur mauve, couleur noire

Nous nous trouvons dans une pièce avec 4 personnes.

• Un médiateur.

• Julie, 40 ans, résidente du lotissement «Arbres», lotissement constitué de maisons de standing. Julie représente le comité architectural, comité qui a pour responsabilité de garantir l'homogénéité des maisons au sein du lotissement. Julie est blanche de peau.

• Elizabeth, 41 ans, arrivée il y a moins d'un an dans le lotissement. Elizabeth est noire de peau.

• Bernie, 22 ans, fille d'Elizabeth, étudiante aux Beaux Arts.

Le médiateur rappelle qu’après leur arrivée dans le lotissement, Elisabeth et Bernie ont repeint leur façade en mauve, couleur que le comité a trouvé inappropriée. Julie demande donc à ce que la façade soit repeinte.

Pour finir, le médiateur rappelle que la discussion et les décisions sont entièrement de la responsabilité de Julie et Elizabeth.

Julie explique qu’il y a effectivement un problème avec la couleur, couleur qui n’est pas en adéquation avec les couleurs utilisées pour les autres maisons.

 Elisabeth explique que:

-  dans le document de 30 pages remis à son arrivée, rien n’est dit à propos de la couleur,

-  de nombreux résidents n’ont aucun problème avec sa couleur,

-  et que d’autres résidents ont, eux aussi, une couleur pastel.

Julie dit que ce n’est pas parce que la couleur ne dérange pas un petit nombre qu’elle ne pose pas problème à un plus grand nombre.

S’ensuit un dialogue de sourd concernant ce qu’est une couleur acceptable ou non.

Elizabeth s’énerve. Pour elle, il n’existe aucune obligation concernant les couleurs et  seuls les goûts de Julie sont en cause. Emportée dans son énervement, Elizabeth ajoute que ce problème de couleur est un faux problème et que le vrai problème de Julie c’est qu’elle ne supporte pas d’avoir des noirs qui habitent à cinq maisons de la sienne.

Julie réagit vivement et se dit blessée.

Elles discutent ensuite de la possibilité de trouver une solution en justice.

Bernie essaie de calmer les choses en disant que sa mère est un peu en colère.

Elizabeth en rajoute et raconte différents incidents qui ont eu lieu depuis leur arrivée (par exemple, un problème de lettre anonyme concernant l’utilisation des parkings). Elle pleure puis se tait.

Bernie dit que, pour elle, il y a effectivement un problème de couleur. Mais ce problème concerne uniquement les préférences individuelles et ne relève pas des compétences d’un comité.

Elizabeth demande au médiateur ce qu’ils doivent faire maintenant.

Le médiateur retourne la question aux deux femmes.

Julie se justifie en disant qu’elle n’a pas de problème avec les personnes noires.

Elizabeth ignore ces remarques.

Nouveau débat et nouveau constat : rien n’est dit au sujet des couleurs dans le règlement. Julie ne peut forcer Elizabeth à changer.

Julie reconnaît qu’il y a bien eu interprétation de la part du comité et que cette interprétation n’engageait qu’eux.

Elizabeth dit que le comité, constitué uniquement de blancs, n’est pas représentatif des différentes communautés ethniques qui habitent le lotissement.

Julie lui rappelle que ce comité est élu. Ensuite, Julie revient sur le fait qu’elle est blessée par les accusations de comportement raciste. Elizabeth ne souhaite pas en parler mais Julie insiste. Elle reproche à Elizabeth d’avoir attribué un certain nombre d’événements au fait qu’elle pourrait être raciste. Julie parle de son beau- fils qui est noir.

Bernie, calmement, rappelle que les maisons de la résidence sont de couleurs différentes et que ces couleurs ne posent problème à aucune des personnes qu’Elizabeth et Bernie connaissent. Leur mauve ne posant problème qu’à Julie, eh bien oui, elles sont obligées d’en conclure que Julie est raciste.

Julie se met en colère. En dehors de la couleur de la maison, Julie n’a rien à reprocher à Elizabeth et Bernie, sauf de se faire traiter de raciste.

Un silence s’installe.

Julie répète qu’elle n’est pas raciste.

Bernie dit qu’elle fait des études d’art, qu’elle aime les maisons aux façades de couleur, de toutes les couleurs et elle propose à Julie de développer sa sensibilité aux couleurs.

Julie dit à Elizabeth qu’elle a une fille formidable. Elizabeth acquiesce.

Elles discutent à nouveau de la possibilité de trouver une solution en justice.

Puis Elizabeth continue d’accuser Julie de ne pas avoir un comité représentatif des différentes communautés ethniques.

Julie reproche à Elizabeth d’interpréter ce qu’elle dit et de rester bloquée sur ce problème, sans chercher à avancer avec elle.

Pour le médiateur, il semblerait qu’Elizabeth reproche à Julie d’être raciste alors, qu’en fait, elle reproche au comité de ne pas représenter un des groupes de la communauté.

Elizabeth répond qu’elle n’apprécie pas que l’on transforme ce qu’elle dit. Puis elle continue à dénoncer le manque de pluralité du comité.

Julie propose à nouveau à Elizabeth de travailler avec elle à changer les choses.

Le médiateur dit à Elizabeth qu’il semble difficile pour elle de laisser de côté toute une colère accumulée.

Elizabeth confirme: «n’est pas si facile».

Le médiateur se tourne alors vers Julie et lui demande si, bien qu’il y ait eu des moments difficiles, cette discussion répond à ses attentes.

Julie dit qu’elle a compris que, pour Elizabeth, il est difficile de mettre de côté des années de ségrégation. Mais elle aimerait tellement qu’Elizabeth accepte de s’impliquer avec elle afin de changer les choses au sein du comité.

A la surprise de Julie, Elizabeth l’interrompt pour dire, qu’en tant que croyante, elle ne souhaite blesser personne et qu’elle ne souhaitait pas blesser Julie. Elle lui tend la main en signe d’apaisement.

Julie la saisit et lui demande si elle accepte de travailler avec elle pour changer les choses.

Elizabeth sourit et accepte.